C’EST une nokta (blague satirique) qu’on se racontait au Caire en février 2011, alors que Hosni Moubarak s’accrochait encore à son fauteuil. Le président mourait et retrouvait dans l’autre monde ses deux prédécesseurs, Nasser et Sadate. Hantés par la manière dont ils avaient eux-mêmes perdu le pouvoir, ils lui demandaient : « Crise cardiaque ou assassinat ? » Moubarak répondait : « Facebook. »

Non, on ne renverse pas un régime autoritaire en pianotant sur son clavier : il a fallu descendre dans la rue et oser affronter la police. Cela dit, les réseaux sociaux ont joué un rôle indiscutable dans ce « printemps » avorté. Le pharaon a été victime de l’informatisation du pays qu’il avait favorisée pour mieux gérer l’économie et le tourisme.

La « webisation » de tous les peuples de la région (saoudien en tête) s’est considérablement développée depuis 2011. Cela transforme la langue arabe elle-même, au grand dam des puristes, avec une écriture en dialecte et des caractères empruntés aux claviers occidentaux. La génération numérique, qui devient majoritaire, étouffe sous la répression politique, mais aussi sous le mensonge et l’hypocrisie, l’interdiction de s’aimer librement, d’affirmer son incroyance ou son homosexualité.

Encore faut-il ne pas se faire prendre sur la Toile, où la contre-révolution a déployé tout un arsenal de surveillance et de traçage électroniques. La modernité, l’inventivité et l’humour qui s’étaient révélés dans les manifestations – avec par exemple des « Va-t’en ! » écrits en hiéroglyphes ou en chinois, « puisqu’il n’a pas l’air de comprendre l’arabe » – sont toujours là. La Toile est aussi un miroir. L’image que beaucoup d’Arabes ont d’eux-mêmes a changé, et cela ne se réprime pas. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !